“J'ai longtemps cru à l'existence d'une pierre philosophale qui transforme l'argent en temps. Je parle de bon temps. J'ai couru derrière un certain temps. Entre-temps j'ai changé de vie, de façon radicale j'en conviens, mais il parait que c'est dans l'ère du temps. J'ai renoncé à nombre d'artifices de ma vie d'antan, consenti à certains sacrifices, et je me préoccupe désormais plus du temps de la semaine que du temps qui s'écoule. En ce début de printemps, c'est un nouveau confinement qui nous prive de nos passe-temps. En temps normal, il n'y aurait rien à redire, mais étant donné les circonstances, n'est-il pas temps de nous interroger sur le sens du temps qu'on troque contre salaire ? N'est ce pas la véritable richesse de l'existence que de pouvoir disposer de son temps ? Moi, pendant ce temps, dans mon champs, je vis comme hors du temps. J'observe chaque jour la nature qui s'éveille. Et elle prend tout son temps. Elle se moque bien du contretemps occasionné par cette pandémie, elle qui pourtant lui a donné bien du répit. Alors je prends le temps de l'écouter, de l'observer. Je m'émerveille de la vie qui prend forme dans chacun de mes godets, et malgré les températures hivernales de cette semaine qui les ont malmené je m'adapte aux caprices du temps.” - Louis Delon
J’ai croisé le profil de Louis Delon sur LinkedIn, il a écrit ces mots, qui m'ont beaucoup parlé. Louis a vécu plusieurs vies, et s’est depuis un an tourné vers la permaculture. Son parcours est la preuve qu’il n’y a pas que des lignes droites, qu’on peut expérimenter plusieurs jobs, plusieurs modes de vie, qui contribueront à forger qui nous sommes et à mieux identifier ce que nous aimons. Louis parle de l’importance d’apprendre à bien se connaître, de se poser des questions sur ce que l’on aime, nos convictions et les valeurs qui nous tiennent à cœur. Des questions qu’il s’est posé et qui l'ont amenées à se tourner vers un métier de passion: la permaculture.
De la recherche scientifique, à la permaculture, en passant par le web, voici l’histoire de Louis…
“Je pense que pour chacun, c’est un peu le propre de l’existence de savoir ce qui nous rend heureux. C’est à chacun d’y trouver ses propres valeurs, ses propres envies.”
Peux-tu nous parler de ton parcours jusqu’ici ?
Je suis scientifique à la base. Après un doctorat en chimie, j’ai été attaché de recherche au CNRS pendant 3 ans. Puis j’ai dirigé une boîte pendant 4 ans sur la base de ces travaux de recherches où l’on développait des médicaments pour des formes particulières de leucémies. Ensuite, j’ai rejoint une équipe de chercheurs sur la thématique de la fertilité masculine. Il y a un vrai sujet depuis le début des années 2000 sur cette thématique. En effet, la fertilité masculine décroît de façon continue depuis une cinquantaine d’années. Il y avait des preuves scientifiques montrant que les produits chimiques que l’on trouve dans notre environnement affectaient la fertilité chez les hommes comme chez les femmes. Nous nous sommes inscrits dans ces travaux, pour déterminer à la fois la toxicité des molécules sur la fertilité humaine et pour réparer ce qui était cassé pour les hommes stériles. Ensuite, j’ai quitté la boîte et j’ai fait une transition à la Fondation pour l’Université de Lyon où j’ai monté un programme pour faire émerger des projets de startup sur le territoire.
Puis, j’ai switché et j’ai monté une boîte dans le web où j’ai lancé une marketplace pour les acteurs du jeu vidéo, une aventure qui a duré 4 ans, et qui s’est soldée par une liquidation. Ce n’était pas rentable. Puis, j’ai commencé à remettre en question ce que je faisais : j’étais content d’avoir vécu les aventures que j’ai vécu mais je trouvais que ça manquait un peu de sens. J’ai toujours fonctionné par opportunité mais jamais par désir et conviction. À aucun moment je ne m’étais posé la question de ce qui moi, me rendait heureux. Je pense que pour chacun, c’est un peu le propre de l’existence de savoir ce qui nous rend heureux. C’est à chacun d’y trouver ses propres valeurs, ses propres envies. J’arrivais à la quarantaine et j’ai fait ma crise de la quarantaine ! J’ai ressenti le besoin de prendre du temps pour savoir quel niveau de challenge j’allais me fixer. J’ai toujours été porté par le challenge : j’étais driver par l’apprentissage et l’expérimentation. Il y a d’ailleurs une phrase qui m’a beaucoup marqué qui dit : “On commence à vieillir quand on finit d'apprendre.” Moi, j’ai toujours eu peur de vieillir.
“J’étais conscient qu’il y avait un problème. Mais je l’observais de loin.”
En me recentrant sur moi, j’ai réfléchi sur le projet sur lequel j’allais me fixer et de façon plus pérenne, car les aventures startups, quel que soit leur succès ou non, sont souvent des aventures éphémères : c’est un état intermédiaire entre le projet et l’entreprise. J’ai pris 2 ans, pendant lesquels j’ai fait une formation de developer web et approfondi pendant 1 an en tant que freelance. Je me suis vite rendu compte que je n’en ferai pas mon métier. En même temps, cette période m'a permis de remettre en question pas mal de choses dans mon quotidien. J’ai toujours eu une âme écolo, et, pris dans mon quotidien entrepreneurial, j’étais centré sur mon truc. Pendant cette pause de 2 ans, j’ai lu pas mal de bouquins sur la crise écologique et j’ai eu l’impression de me réveiller. J’étais conscient qu’il y avait un problème, mais je l’observais de loin.
Pourtant, n’en avais-tu pas fait le constat dans le cadre de tes recherches sur la stérilité ?
Quand j’étudiais les problèmes de stérilité des hommes liés aux pesticides, je n’avais pas conscience de tout ce que ça pouvait induire sur le côté systémique. Quand tu fais des études en tant que chimiste, tu ne sors pas de ton domaine, tu ne comprends pas comment fonctionne un agrosystème, un écosystème. Ton rôle c’est de trouver une solution à des problèmes. Je me suis souvenu que je voulais travailler dans l’écologie quand j’étais enfant. Je voulais comprendre comment fonctionnait un écosystème par exemple. C’est marrant, car j’ai fait des études complètement inversé : la chimie c’est l’école du réductionnisme : tu réduis un sujet en objet de recherche, tu découpes quelque chose de compliqué en plusieurs petits segments, mais du coup, quand tu fais ça, tu perds le côté systémique. L’inverse du réductionnisme, c’est l’holisme. Tout le vivant est organisé selon un système holistique : beaucoup de choses sont en interactions les unes avec les autres et les étudier de manière isolées, ça n'a aucun sens. Si tu perturbes l’un d’eux, tu peux perturber tout l’écosystème.
J’ai commencé à m’intéresser à la permaculture et j’ai trouvé le sujet passionnant. Ça m'a donné envie de retourner à la terre. Quand le confinement est arrivé, j’ai eu l’opportunité de travailler dans une exploitation en maraîchage écologique. Je m’étais donné 2 ans pour me lancer et après les deux mois à travailler en tant que bénévole, je me suis lancé. La philosophie de la permaculture c’est : prendre soin de la terre, prendre soin des hommes et répartir équitablement les richesses produites. Derrière ça, il y a différents principes, comme adopter un fonctionnement qui soit le plus circulaire possible et prendre la nature pour modèle.
Donc là, tu as commencé ?
Pour l’instant je suis en phase d’expérimentation. J’ai commencé dans mon jardin sur 10M² et là j’en suis à 5000M². Je vends ce que je produis depuis une semaine.
Comment s’est déroulé le démarrage de ton activité ?
En mars j’ai fait mon stage et en mai j’ai commencé à chercher de la terre. Ce n’était pas simple, car ne venant pas du milieu agricole, je ne pouvais pas prétendre à de la terre agricole. Pour pouvoir y prétendre, il faut avoir la capacité agricole via un BPREA ou une expérience de 3 ans sur le terrain. Je suis allé voir des exploitations près de chez moi pour étudier la partie économique. Je me suis lancé en 6 mois et je me suis dit : j’apprends en faisant même si je sais que je vais rater beaucoup de choses. Je crois beaucoup en l’échec : c’est un apprentissage douloureux mais c’est un apprentissage exceptionnel. J’ai monté un projet et j’ai envoyé ce projet à toutes les communes autour de chez moi. Je voulais m’installer mais je n’avais pas de terre. Et une commune proche de la mienne, m'a mise en relation avec une exploitation. À partir de novembre, j’ai signé le bail pour la terre, en février on a monté les serres et l’irrigation. Il s’est passé un an entre le moment où j’ai décidé de me lancer et le moment où je me suis lancé.
Aujourd’hui tu te sens comment dans ce nouveau travail ?
Je trouve que c’est incroyable. C’est un métier qui est dur. Ça fait 4 mois que je suis dans le bain, c’est encore tôt pour en tirer des conclusions. Dans tout parcours entrepreneurial il y à des hauts et des bas, et là c’est pareil. Il y a des moments où c’est vraiment dur et d’autres où c’est magique. Je ne sais pas si je vais réussir, je ne suis pas mécanisé, je fais tout à la main, qu’avec des outils que je me suis fabriqué où que j’ai acheté. Et je n’utilise aucun produit. La seule chose que je m’autorise c’est du purin d’orties, d’herbes fermentées en pulvérisation. Je me rajoute des contraintes supplémentaires : comme je n’ai pas d’anti-limace, je me lève tous les matins à 6h du matin pour enlever les limaces. Je ne dis pas que je continuerai toujours comme ça mais je voulais dans ce projet être le plus indépendant possible. J’essaie de trouver toutes mes ressources dans un rayon de moins de 10Km.
“La viabilité économique vient après un certain nombre d’années et je pense que les collectivités doivent venir en aide aux agriculteurs. J’ai eu la chance de pouvoir auto-financer mon projet, mais la plupart des gens ne sont pas dans ma situation.”
Est-ce que la permaculture pourrait permettre de nourrir le monde selon toi ?
Je ne peux pas répondre à ça. J’ai envie de te dire oui, car on est dans un monde où l’on mange trop de viande. La viande mobilise des surfaces agricoles énormes. La surface agricole mobilisable il y en a. Après, on ne peut pas faire de céréales en permaculture, il y a besoin d’un minimum de mécanisation pour ce type de production. En revanche, sur la partie maraîchage, je dirai que oui. Il faut surtout que ce soit économiquement viable. À l’après-guerre, il y avait encore 6 millions de paysans, aujourd’hui on est à 400 000. Ce ne sont plus des paysans d’ailleurs, ce sont des agriculteurs. La viabilité économique vient après un certain nombre d’années et je pense que les collectivités doivent venir en aide aux agriculteurs. J’ai eu la chance de pouvoir auto-financer mon projet, mais la plupart des gens ne sont pas dans ma situation. Si on veut vraiment faire cette transition, il faut mettre la main à la poche. On ne peut pas demander à des gens de prendre des risques financiers. La plupart des gens que je rencontre, au bout de 3 ans, ne se payent toujours pas et vivent avec le RSA.
“J’ai longtemps pensé que ce problème de transition se traiterait à grande échelle : tu as un problème, tu trouves une solution, tu l’as déploies dans le monde entier de façon industrielle. Cette conviction là, elle est complètement tombée.”
Qu’est ce que souhaite ajouter pour terminer cette interview ?
J’ai longtemps pensé que ce problème de transition se traiterait à grande échelle : tu as un problème, tu trouves une solution, tu l’as déploies dans le monde entier de façon industrielle. Cette conviction là, elle est complètement tombée. Je pense au contraire, aujourd’hui, que c’est à chacun de nous de faire son colibri. À mon échelle, je joue mon rôle. Je pense que c’est à chacun de nous de se demander : qu’est ce que je peux faire moi à mon échelle, pour impacter le moins possible ou impacter positivement.